EBBH & l’odeur du sexisme ordinaire !

Sous-titre : Accusé (de réception) !

Allez, tiens, à nouvelles circonstances, nouvelle façon de m’exprimer : le billet.

[Ce billet, expérimental, ne reflète pas ce que je penserai du sujet dans 8 jours, je me réserve donc le droit de le faire évoluer si nécessaire. Par exemple en fonction des commentaires cordiaux et constructifs qu’il pourrait recevoir.]

Bon. Je suis un peu dans la sauce. Rien de grave, panique pas. Juste la sauce Twitter. Tu sais, ces trucs qui prennent des proportions disproportionnées, comme on dit. Et dont personne ne se souvient 2 semaines plus tard, parce qu’il y en a eu 7 autres entre temps.

Mais tout de même… Alors que j’ai tant à faire (comme un billet a posteriori sur ces formidables Rencontres de l’Esprit Critique 2024, ou le montage du spectacle que j’y ai présenté sur scène le dimanche soir), j’ai le sentiment que, pour le coup, il serait intéressant de ne pas juste laisser passer l’orage, et de partager les quelques réflexions que tout cela m’inspire. Ailleurs que dans l’enfer de Twitter, s’entend. (Oui, je sais, ça s’appelle X, maintenant. Mais j’arrive pas à m’y faire. Vous savez ce que c’est, les vieux…)

Dans la sauce, donc. Ouais, et, c’est ma faute. Globalement. En tout cas, j’aurais pu l’éviter.

D’abord, parce que j’ai posté une photo du post-it retrouvé collé sur mon exposition au REC 2024. Pas sur le coup, hein. Trop occupé. Mais lorsque l’organisateur du REC a lui-même fait état des tracts anonymes retrouvés dans tous les toilettes, quelques jours plus tard, j’ai eu l’idée (BRILLANTE) de signaler que « Ah mais moi aussi, j’ai eu ma petite dénonciation anonyme, hein ! ».  J’aurais pas dû. D’autant que c’était vraiment très anecdotique par rapport aux deux formidables jours passés au REC (humainement, et tout).

Anecdotique ? Sur Twitter ? HAHAHA.

C’est un peu dommage d’avoir gâché une si belle encre : j’étais présent pendant deux jours, et très accessible. Ma femme, directement concernée par l’image, également.

C’est une ancienne image : l’épisode 116 (https://ebbh.fr/2022/05/en-resume-116-les-plus-belles-questions-rhetoriques/), présenté sur une des 16 affiches, au milieu de 11 autres petites images. Ces affiches ont déjà été exposées aux deux REC précédentes. Elles n’étaient donc présentes dans une salle annexe que pour permettre aux visiteuses et visiteurs absent(e)s les autres années de pouvoir en profiter (gracieusement, mais ne vous sentez surtout pas obligé de me soutenir sur Tipeee). Un détail, dans une ancienne expo, quoi.

Cette année, je présentais au REC une nouvelle expo en collab’ avec Meta-Brouteur, exposant les méthodes des escrocs (faux héritage/arnaque aux sentiments/sextorsion, etc.). Je présentais également 8 grandes affiches artistiques (EBBH’Art) dans l’espace central.

C’est là qu’était mon attention (ainsi que sur la table ronde la BD comme outil de vulgarisation, la séance de dédicace collective book-e-book pour la sortie de « Un sceptique bien entouré« , le spectacle enfants à donner à 17h, l’expérience « sagesse des foules » sur le stand de l’Astec, et la conférence jonglée « Doute en Ronds » d’1h45 que je devais présenter pour la première fois sur scène le dimanche soir. Donc bon.).

J’ai ainsi été très surpris d’une réaction à propos d’une petite image qu’il aurait été largement possible de commenter sur mon site ou sur les réseaux sociaux durant ces dernières années. Or rien. Nulle part.

Pas même dans mon « groupe test », auquel je soumets tout épisode avant publication. 30 personnes (ami(e)s aux profils divers), dont 17 femmes, ayant pour certaines une assez forte sensibilité féministe. Et devant cet épisode 116, dont le sujet était la présentation d’une forme originale de questions rhétoriques (se mettre en situation de ne pas entendre la réponse), elles avaient… rigolé. Pas de remarque. Pas de mise en garde (elles ont probablement été victimes du même « biais » que moi : une connaissance du contexte). Une preuve qu’il n’y a pas de problème ? Non. Mais une preuve qu’il ne saute pas forcément aux yeux, certainement.

Alors quoi ? Sexiste ? Moi ? (Allez, disons : l’image. Mais faite par moi, et qui parle de moi. Donc bon. Oui, j’adore dire donc bon.)

J’ai d’abord été incrédule. Puis rapidement curieux. Qu’est-ce qu’une personne a pu voir de sexiste dans une des rares image justement tirée de mon vécu de couple ?

Cette image n’était « que » la réflexion (au sens du miroir) d’une scène banale chez nous : ma femme qui profite de ses boules Quies pour me parler sans que je puisse lui répondre. On dort plus vite, comme ça, faut avouer. C’est un jeu. De la complicité, et du second degré. Du genre qu’on partage au bout de 33 ans de vie commune (peut-être aurez-vous noté la présence d’un petit cœur. Je l’ai mis pour symboliser l’affection. Tsé.).

Et puis… Dans cette scène, c’est ELLE qui domine, non ? Comment ça peut perpétuer une « domination masculine », puisqu’elle y est clairement en position de force ? Comment l’image peut-elle donc être qualifiée de SEXISTE ?

Ah, d’ailleurs, oui : sexiste. Ton image EST « sexiste ».

Que veut dire exactement ce « sexiste », qu’on me jette ici à la figure ? Pour moi, c’est (encore) un fuzzy concept (concept flou), et ça aurait été une bonne occasion de faire une petite partie de rationalist taboo. (Rappel : je l’avais présenté ici, dans la note 1 du second épisode : https://ebbh.fr/2022/05/fuzzy-concept-fils-de-lhomme-103-et-flou-a-ses-limites-104/).
Son principe est de mieux se faire comprendre en s’interdisant temporairement d’utiliser un mot. Ici, donc, il consisterait à me dire « ton image est sexiste »… sans jamais utiliser le mot « sexiste ».

D’ailleurs, je vois un point commun avec l’Esprit Critique : il n’existe pas « en soi », mais se définit par ce qu’on en attend. L’antisexisme, c’est un peu pareil, non ? Je pense que c’est la première clef ici. Une question d’attentes. Différentes.

Deux remarques avant de poursuivre :

  1. Je n’utiliserai pas ici d’extraits des commentaires/threads outranciers, haineux et/ou condescendants que j’ai pu lire. Ce serait une forme de nutpicking (https://ebbh.fr/2019/12/en-resume-47-nutpicking/) trop commode pour mettre les lecteurs de mon côté et balayer les critiques. C’est tentant, hein (on m’a tout de même qualifié de pire rebut de l’humanité). Mais non. Et il y a eu de tout ! Depuis le message privé amical me proposant de m’expliquer (mon préféré), jusqu’à la personne remontée avec laquelle on est finalement parvenu à discuter, en passant par des explications neutres (entendre « dépassionnées ») constructives.
  2. Ce billet ne nous mettra probablement pas tous d’accord sur le fond, mais peut-être permettra-t-il au moins de s’entendre sur les divergences ?

Je vais d’abord tenter le périlleux exercice de résumer l’approche des personnes critiques de cette image. Maladroitement certainement, car c’est leur approche à eux, pas la mienne. Mais aussi sincèrement que possible.

Nous utilisons toutes et tous des prismes idéologiques, des représentations, pour lire le réel. Pour les critiques de mon image, le prisme idéologique utilisé en priorité considère les rapports de domination, à un niveau d’analyse systémique (c’est-à-dire, en gros, non individuel. Qu’il soit structurel, institutionnel, etc.).

Et je trouve ce prisme fort utile pour penser certaines problématiques et agir dessus dans certains contextes. Je ne reconnais cependant pas à ce prisme la nécessité d’être toujours prioritaire. Bref, je n’adhère pas au « prisme systémique systématique », pour le dire joliment. Je pense que je ne révèle pas un secret ici : dans le cas contraire mon travail serait de facto très différent. Or il est globalement orienté sur des représentations individuelles. Je ne suis pas aveugle pour autant aux dynamiques systémiques, mais ça n’est pas sur cette lecture et enjeux que j’ai la capacité d’apporter quelque chose.

Et justement, mon image n’a pas été pensée, j’en conviens très volontiers, pour une telle lecture. C’est une tranche de (ma) vie qui n’avait pas vocation à porter le poids des représentations systémiques. « Mais toute représentation de rapports de couple porte le poids normatif des dynamiques systémiques ! », me répondront-iels. Et c’est une réponse tout à fait pertinente… quand on a chaussé les lunettes systémiques ! Vous le voyez venir, le côté circulaire et insoluble du désaccord ?

J’ai apprécié une intervention très claire, qui me semble bien décrire cet écart (et qui a d’ailleurs joué, volontairement ou non, le jeu du rationalist taboo à partir du second tweet. Ça doit être pour ça que je trouve l’explication claire) :

Le sujet de cette image était cette forme particulière, originale et (théoriquement) amusante de questions rhétoriques. On l’accuse donc de ne pas contribuer à neutraliser des clichés sur les rapports de couple, qui ne sont ici qu’un support humoristique, puisé dans une anecdote personnelle. Soit.

Et j’en conviens aussi : ma façon de voir se heurte à une limite logique. Une limite floue, là encore. Il est évident que je n’aurais jamais représenté un personnage « banalement » auteur de violences conjugales sans en faire un sujet de l’image, pour le dénoncer. Je n’aurais pas accepté le risque de normaliser ce comportement là.

Mais cette limite, toute floue qu’elle soit, existe pour moi (sinon, on tutoie à mes yeux le sophisme du continuum : considérer que puisqu’aucune limite claire n’existe, c’est qu’il n’y en a pas, et que tout cliché doit donc impérativement être dénoncé, en toutes circonstances). Or il y a pour moi un seuil sous lequel il n’est pas indispensable de m’inquiéter de la portée normative de ce que je présente (Ou sinon… ne faudrait il pas AUSSI s’inquiéter du cliché sexiste qu’on renforce en écrivant publiquement à l’encre rose ?).

Je pense que ce seuil est loin d’avoir été franchi ici, même à admettre que l’image véhiculerait des clichés sexistes. Et c’est justement ce sur quoi je vais me pencher maintenant.

Alors, quels clichés sexistes (indépendamment de leur « gravité » donc) cette image véhicule-t-elle ?  Commençons par l’allusion à ma belle-mère. Ok, là je plaide coupable.

Les belles-mères sont un sujet de plaisanterie à travers toutes les cultures depuis 3000 ans (à la louche). Et cette dimension universelle et intemporelle m’amuse. Pas vous ? Ça arrive. Perpétuer ce cliché ? Eh, je ne n’ai pas pour ambition de gérer tout le SAV de l’humanité. En tout cas, certainement pas sur ce point en priorité. Il en irait très différemment si des belles-mères étaient régulièrement assassinées (cf la limite), mais en l’occurrence, les tensions BM/gendre ou BM/bru relèvent du sujet léger. Tout au moins dans mon cas. Car c’est un clin d’œil à des épisodes précédents (eh oui). Il y a quelques petites frictions avec ma belle-doche (elle m’a connu merdeux à 16 ans, c’est difficile de faire changer le regard), mais d’abord une affection et une complicité indéniables.

Source ? Je lui avais fait ravaler ses paroles en vidéo : https://ebbh.fr/2021/03/il-filme-sa-belle-mere-en-train-de-ravaler-ses-paroles/

Donc bon (+1). La belle-mère, « j’assume », comme disent les gens qui n’assument pas. Je m’efforce d’utiliser des mécanismes humoristiques originaux, de ne pas piquer chez les autres, même en adaptant. Mais là je fais une exception, car il y a prescription et la belle-mère est libre de droits (je veux dire, en attendant l’héritage [OH !!!]).

Mais même si on peut voir la conséquence du fonctionnement genré des sociétés dans ce mème ancestral, ça ne suffit pas à expliquer les réactions critiques. Il n’y aurait eu « que » ça, ça aurait juste levé un sourcil en se fendant d’un petit « ok, boomer ».

Non, LE problème semble bien être surtout dans la question posée d’emblée par ma femme : « T’as pris rendez-vous pour le contrôle technique ? ».

Cette seule question est, pour la personne qui a posé le post-it (j’imagine) ainsi que pour celles et ceux qui ont poursuivi sur twitter, le symbole de la charge mentale.

Je reconnais d’emblée une chose : la question est COMPATIBLE avec cette interprétation. Mais s’il m’a fallu un moment pour le comprendre… c’est que ça n’est pas la seule ! Et pas « la bonne », dans le sens où évoquer la charge mentale n’était ni son but, ni son origine.

La relation de couple, c’est de (trop !) nombreuses tâches à se partager, et la charge mentale, c’est une disproportion écrasante quant à la répartition des préoccupations à leur sujet.

Or ici, il est question d’une unique tâche (qui concerne en plus la voiture, dont le cliché genré affecterait plutôt la gestion à l’homme). Je l’ai dit, j’ai pioché dans le réel. Dans le réel, il se trouve que la voiture, c’est avant tout elle. Parce que c’est elle qui l’utilise quotidiennement. Mais l’image ne vous dit rien de la question de la charge mentale au sein de ce couple dont vous avez une photographie instantanée (je vous rassure, comme dans beaucoup de couple j’espère, cette question est discutée)

Bref, les critiques extrapolent. D’une unique question… à la répartition globale de la gestion des tâches. Et d’un couple en particulier… à sa représentativité systémique.

De la même façon que (sans beaucoup de charité) certains ont préféré y voir une femme dépeinte en tyran domestique OU en pipelette inconséquente, alors que c’est tout simplement une scène de connivence et d’humour.

(La prenant au passage UN PEU pour une idiote, qui ne se serait rendue compte de rien en validant l’image… Car oui, elle a EVIDEMMENT validé l’image, qui l’a amusée. Dois-je vous dire aussi qu’elle était déjà féministe alors que l’auteur(e) du post-it n’était peut-être même pas né(e) ? C’était « un autre féminisme » ? En 90, oui, très certainement. Et donc ?)

Alors, certes, je ne peux pas me cacher derrière un « je ne suis pas responsable de ce que vous avez décidé de comprendre ». C’est toujours plus compliqué que ça.

J’aurais pu (dû ?) anticiper le fait que l’image pouvait sortir de mon audience habituelle, suffisamment rompue à mes productions pour ne pas attribuer d’autre portée à l’image. Et indéniablement, gagnant un peu en notoriété, je dois le prendre en compte à l’avenir.

Bon, fort heureusement, je doute qu’en l’occurrence, quelqu’un en ait gravement souffert. Ou alors du poignet. Mais ça sonne tout de même comme une mise en garde pour d’autres contextes où l’illustration pourrait être plus lourde.

Pour finir avec un peu d’humour pas drôle, voici la version que j’aurais pu faire en inversant artificiellement les rôles, si c’était moi qui mettais mes boules Quies pour poser ces questions rhétoriques.

(Oui, la gestion du chat, c’est moi. Elle n’a jamais changé la litière en 10 ans.)

Vous avouerez que ça n’est pas FRANCHEMENT « moins sexiste »… Alors ? Dois-je en conclure que ma seule option était de renoncer à mettre en scène cette situation ?

Je crains que la réponse de mes critiques soit : oui. Oui, tu aurais plutôt dû faire une image sur la charge mentale. Ou falsifier le réel pour trouver des questions rhétoriques acceptables, comme… Comme quoi, d’ailleurs ? Quelles questions rhétoriques peut-on se poser au sein d’un couple qui ne seraient pas perceptibles comme « problématiques » lorsque son auteur porte des boules Quies ?

Une question rhétorique, dans un tel contexte, ne peut être qu’une injonction. Et des injonctions, dans un couple, il y en a toujours. L’essentiel est que, comme les tâches, elles soient réparties équitablement.

Merci de m’avoir lu jusqu’ici, j’espère ne pas avoir trop foiré cet exercice inédit pour moi, et avoir levé d’éventuelles ambiguïtés quant à mes positions ou intentions.

3 réponses

  1. Très bien ! Même si on peut aussi se poser la question de répondre à ce genre d’accusation ou pas. Tu as fait le choix de le faire, et tu l’as bien fait.

  2. Selon le contexte, le sexisme peut être justement dans le fait de présenter un personnage féminin en position de force EN RAISON de son incapacité voulue à écouter : Poser des questions sans se donner les moyens d’entendre les réponses, est irrationnel…, « les femmes » sont donc irrationnelles… Mais lorsque on remet CETTE image dans SON contexte, il ne peut y avoir de sexisme possible à y voir par rapport à ça.

    Pour la belle-mère, bin de fait, à partir d’un certain âge, il y a plus de belle-mère que de beau-pères, puisque les femmes vivent plus longtemps que les hommes, donc … Et puis franchement je ne suis pas certain que l’oppression envers les belle-mères soient systémique au point de devoir être dénoncé.

    Le contrôle technique… On peut retourner cette question dans le sens que l’on veut, en faveur ou en défaveur du sexisme, tout dépend de l’endroit d’où on parle… Donc ça me semble peu pertinent dans le contexte de cette image d’évoquer charge mentale ou sexisme pour justifier la qualificatif de sexiste.

    Certaines personnes peuvent être tellement oppressées par le sexismes qu’elles en viennent à le « voir » même là où il n’est pas. Ce n’est pas forcément par malice, mais plutôt par souffrance (passée ou présente).
    Impossible d’exclure non plus la bêtise et/ou le besoin de montrer sa grosse indignation non plus, hélas…

    Enfin, c’est juste l’avis d’un humain lambda… Et de toute façon vous avez très bien répondu tout cela !

  3. Si il y avait un post-it pour chaque vanne que mon épouse et moi nous balançons… La déco de la maison serait refaite. La même choses entre nos enfants et nous, c’est de l’infantisme ?
    Un détail, le mot doux n’est pas signé, j’aime pas quand c’est pas signé :). Bref j’aime bien le teneure de ton billet et ta réaction. Twitter… je me demande s’il y a pire pour la proclamation, propagation de leçons à trois balles, cabales… Bon même des réseaux comme Mastodon commencent être envahis par les haineux alors…

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